"Il faut que les chrétiens reviennent vivre au Proche-Orient"

dimanche 22 décembre 2019

Il a maintes fois risqué mourir d’une balle perdue. Au cœur du chaos syrien, dans la ville de Homs, le prêtre syrien Ziad Hilal est resté pendant les 8 années de guerre. « Parce qu’on ne quitte pas les gens quand ils passent par un temps difficile. » A la veille de Noël, il dit ne pas pouvoir imaginer un christianisme sans ses racines au Proche-Orient, « où Jésus est né, a marché et annoncé la Bonne Nouvelle. Il faut que les chrétiens reviennent y vivre ! »

La moitié de la ville de Homs a été détruite pendant les 8 ans de guerre qui ont secoué la Syrie. Et plus de la moitié de ses habitants l’ont quittée. « On parle aujourd’hui en Syrie de 5 millions de réfugiés, de 12 millions de déplacés et de plus de 400’000 ou 500’000 morts, sans compter les disparus ou les détenus », indique le prêtre jésuite Ziad Hilal à Lyon (F) où il est actuellement. Le pays connaît aujourd’hui une accalmie toute relative, et plusieurs Syriens sont revenus dans leur logement. « Des associations chrétiennes internationales ont commencé à reconstruire les bâtiments. Donc il y a la vie. Mais elle est difficile, car il manque encore de l’électricité, de l’essence, des produits de première nécessité à cause des sanctions internationales. Et des quartiers entiers sont toujours dans un état désastreux. De plus, une grosse crise économique pèse sur le quotidien des gens. Car tous les transferts d’argent transitaient par Beyrouth, où les banques sont aujourd’hui fermées à cause de la situation socio-politique au Liban. »

-          Comment les différentes communautés de la ville vont-elles célébrer Noël ?

Noël en Syrie a toujours été un évènement. Non seulement pour les chrétiens, mais pour les musulmans aussi. Il y a des sapins partout, c’est décoré, et à la veille de Noël du 25, toutes les familles vont à l’église puis fêtent ensemble. C’est une tradition très belle chez nous. Mais dès le début de la guerre, on n’a pas pu célébrer comme on l’aurait voulu. Cette année, il y a moins de conflits. Mais la joie sera teintée de souffrances, car les familles sont dispersées.

-          Est-ce qu’il faut reconstruire particulièrement le vivre-ensemble qui a été mis à mal pendant la guerre ?

Je me rappelle des paroles du pape François quand il a dit il y a quelques années que pour recommencer la vie en Syrie, il faudrait trois clés : d’abord savoir pardonner, puis savoir dialoguer et enfin savoir réconcilier. Jusqu’à présent, on n’arrive pas à ce dialogue nécessaire entre le gouvernement et les opposants pour le bien commun.

-          Vous parlez des instances politiques… Mais quel rôle doivent jouer les instances religieuses ?

L’Eglise a une mission importante qu’elle a bien mené toutes ces années, c’est-à-dire le travail social, humanitaire, spirituel. Elle peut aider pour la réconciliation, mais c’est aux responsables politiques de trouver une solution. Pendant la guerre, l’Eglise s’est occupée des enfants et de leur éducation, des jeunes pour qu’ils n’aient pas de préjugés, de haine ou de violence. Elle a travaillé pour nourrir les musulmans autant que les chrétiens. Il faut trouer les murs du mal pour laisser entrer la lumière dans nos vies : c’est ce que nous avons fait.

-          Vous avez écrit cette année un livre1 dans lequel vous mettez en avant la figure de votre ami, le prêtre hollandais Frans van der Lugt, assassiné il y a cinq ans dans le jardin de votre couvent, dans la vieille vieille de Homs alors assiégée. Qu’a-t-il laissé selon vous à la Syrie qu’il aimait tant ?

Le Père Frans était une figure exceptionnelle. Il parlait parfaitement notre langue, même notre dialecte. Il a mené plusieurs projets éducatifs et sociaux pour réunir musulmans et chrétiens, riches et pauvres, croyants et non-croyants. Pendant la guerre, il a mis en pratique la théologie que nous avons étudiée. Il a su ouvrir ses oreilles pour écouter les gens, pour savoir comment les guérir de leurs peurs, de leur haine, de leur violence aussi. Il a donné un message de paix. Il a montré ce qui est positif dans le cœur des Syriens pour les encourager de plus en plus vers la réconciliation. On sait maintenant que notre couvent où il repose est devenu un lieu de pèlerinage, mais aussi un lieu de rassemblement pour musulmans et chrétiens. Il a surmonté tous les préjugés pour accepter tout homme, tout Syrien.

-          Qu’est-ce que les habitants de Homs peuvent nous enseigner ?

L’Europe aussi a connu des guerres farouches, cette violence, la destruction. Il ne faut pas être indifférent à la souffrance d’autrui. Et accepter les gens qui viennent en Occident et les traiter comme il faut. Comme des amis. « Qui est ton prochain ? », nous demande l’Evangile. Eh bien c’est celui qui n’a pas la même culture, la même mentalité, mais qui peut devenir mon ami. C’est ce que la guerre peut nous enseigner.

-          En Syrie, comme en Irak, les chrétiens ont quitté ce berceau du christianisme. C’est important qu’ils reviennent ?

Si on prend les chiffres, c’est désolant. En Irak, il doit rester moins de 2% de chrétiens. En Syrie, peut-être 5%. Mais je parlerais en termes de présence. Cela veut dire que les chrétiens et l’Eglise ont encore une mission sur place. On voit aujourd’hui des associations chrétiennes qui aident à rebâtir, comme à Mossoul par exemple, pour inviter les chrétiens à revenir. Il ne faut pas abandonner cet espoir car c’est leur pays. Je ne peux imaginer un christianisme sans ses racines au Proche-Orient, où Jésus est né, a marché, annoncé la Bonne Nouvelle. J’ai peur que cela reste des lieux de souvenirs. Non. Il faut que les chrétiens y vivent encore.

Propos recueillis par Gabrielle Desarzens pour l’émission Babel diffusée dimanche 22 décembre à 11h sur RTS Espace 2.

1 « Homs, l’espérance obstinée », Ziad Hilal, Bayard : 2019.

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022

eglisesfree.ch

LAFREE.INFO

  • Les camps de l’été 2024

    Ven 17 mai 2024

    Cet été 2024, de nombreux camps sont organisés pour les enfants dès 4 ans, les jeunes et les adultes. Ce sont généralement des moment forts en amitié et en spiritualité pour les participants, comme pour les équipes d’encadrement. Voici une liste de camps qui acceptent encore des inscriptions, ou qui cherchent encore des bénévoles.

  • « Il était des fois » : une série de capsules vidéo mettant en dialogue des jeunes évangéliques, réformés et catholiques

    Ven 17 mai 2024

    Le 21 mai sortira sur les réseaux sociaux de la FREE et sur sa chaîne Youtube la première de cinq capsules vidéo réalisées avec Média-Pro, Cath-Info et DM. Dans cette série "Il était des fois", deux jeunes catholiques, deux jeunes réformés et quatre jeunes évangéliques, réunis le temps d'un week-end à la montagne, discutent de leur foi respective et apprennent à se connaître.

  • Cours Just People (4) : la justice au cœur des préoccupations et des actions

    Ven 10 mai 2024

    Lors de la quatrième rencontre du cours Just People, le 1er mai 2024, Salomé Richir-Haldemann, coordinatrice de Stop Pauvreté, a présenté la justice mise en pratique comme une exigence biblique, une conséquence naturelle du salut par la foi. Elle invite les Eglises et les chrétiens à mettre la justice au cœur de leurs préoccupations et de leurs actions.

  • Conférence «Où sont les femmes ?»: enjeux, constats et pistes pour favoriser le pastorat féminin

    Ven 10 mai 2024

    Ce n'est pas tous les jours que les Eglises de la FREE sont le sujet d'une étude pour un travail de master. Le 27 avril, dans le cadre de la Conférence "Où sont les femmes?" à St-Légier, Lisa Zbinden a présenté les grandes lignes de son travail sur le pastorat féminin au sein de la fédération. Alors que les Unions et Fédérations d'Eglises s'inquiètent pour la relève des postes pastoraux, des pistes ont été évoquées pour faciliter l'accès au pastorat aux femmes.

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !